dimanche 4 décembre 2011

Note de lecture de Joël Clerget sur "Les transitions corporelles dans l'analyse" paru en 2008 chez Fabert






L’idée même de repenser le praticable de l’analyse et d’envisager les remaniements de l’élaboration conceptuelle qui s’imposent du fait de l’expérience est à la fois courageuse, originale et risquée. Cela me plaît.

Que convient-il d’appeler encore psychanalyse ? N’y a-t-il pas lieu, n’est-il pas temps, de distinguer la psychanalyse héritée de Freud, déjà bien ré-interprétée dans sa pratique et dans ses concepts, au bout de 20 ans environ, par Freud lui-même, puis par Ferenczi, Winnicott, Dolto ou Lacan (pour ceux dont je fréquente les textes) et d'autres modalités et formes d’analyse, issues de la psychanalyse. Il y a de la place pour l’invention, ce que Michel Galasse fait généreusement, notamment dans le registre du sentir avec. Sentir avec est consentir à ce qui vient et se vit entre les partenaires de la relation. Des émotions, des images, des sensations, des pensées et des paroles affleurent en nous quand nous écoutons le discours d’un patient, quand nous accompagnons ce dernier.

« Je me sens analyste ferenczien » dit-il dans son premier ouvrage. Ce qui est encore accentué dans le titre, frayages et praticables, après Ferenczi. Cela me fait associer à l’une des dernières paroles de Lacan à Caracas : « Vous, vous êtes lacaniens, moi, je suis freudien. » Pour ce qui me concerne, je me situe dans l’héritage de Freud, qui a inventé la psychanalyse, mais je ne me sens nullement l’âme d’accoler à ma pratique le moindre qualificatif. On a souvent voulu me désigner de lacanien. La fidélité à une source n’est pas la copie d’un modèle, ni l’exactitude d’un message, ni l’imitation nostalgique d’un passé révolu.

Je partage son émouvant et vibrant hommage à Sandor Ferenczi, et son fervent rappel relatif à la « sensorialité partagée », ressentir sans confondre. Son éloge passionné de Ferenczi, l’un des grands méconnus – avec Dolto – me touche, mais rencontre également les limites de toute passion. Je suis moi-même issu d’une ville dont la devise de l’une de ses célèbres usines était : « rien ne se fait bien sans passion ».

Le cadre, c’est le désir de l’analyste, et non l’encadrement du dispositif. Pour ce qui me concerne, j’ai du mal à encadrer l’encadrement du crédit fait à la parole. Nous n’avons d’autres limites que celles de la parole qui nous fonde, et ce, sous toutes les formes que prend la parole, jamais sans corps, pour nous tenir en ses bras. Il convient de penser radicalement une autre dialectique que celle du cadre et de l’objet. Convient-il de conserver encore le terme de cadre ? À quoi ouvre l’analyse ? À certainement autre chose qu’à une limitation à la contenance, mais elle s’épanouit davantage en une Portance (cf. Spirale, N° 46, juin 2008), par référence au désir du praticien, car le désir est à l’œuvre constamment.

Ce n’est pas tant un retour au contact, mais c'est que, dans le contact, les sources nous reviennent. Je pense là au magnifique poème Retour de Hölderlin. Ce retour est en fait une invention. Un retour avant dirait Rimbaud. Je suis bien d’accord avec l’auteur sur la dissymétrie des places et la possibilité de « s’y mouvoir librement ». Comme le disait Georges Braque, l’espace pictural est « visuel, manuel, tactile ». Le terme d’espace me paraît plus juste. Nicolas de Staël écrivait : « L’espace pictural est un mur mais tous les oiseaux du monde y volent librement – à toutes profondeurs ». À toute profondeur, oui. Une poétique de la relation thérapeutique reste à développer, au sens où, comme Michel Galasse le rappelle, les voies du parcours de la symbolisation sont plurielles.

En revanche, je dirais que le néo-sujet n’existe pas. Il y a un sujet à nouveau mu par le désir à nouveau mis ou remis sur le métier. Le néo-sujet est un terme de la modernité s’enfermant dans la nécessité du néo pour recouvrir et forclore la question des fondements symboliques. De même, la formule l’inconscient pulsionnel ne me paraît pas très sûre. Je ne sais pas… Cette expression, me semble-t-il, risque de gommer l’enjeu : comment représenter, comment se représentent, sur la scène psychique, les éléments corporels ? Réponse de Freud, par le représentant-représentation – avec l’intraduisible afférent à  ce Vorstellungsrepräsentanz.

C’est le corps entier qui est esprit (Rosenberg). Nous avons du mal à sortir des rapports disjonctifs de l’âme et du corps, du psychique et du somatique – car ils sont liés l’un à l’autre. Freud a inventé, à cet endroit-là, le concept de pulsion, éminemment fécond dans l’abord de notre pratique (Métapsychologie). Comment, en effet, représenter ce qui est du corps sur la scène psychique ? Dans la mesure où l’on ne peut représenter le corps par le corps, nous sommes contraints de passer par la dimension de la représentation psychique et signifiante, ce que Françoise Dolto a tenté de renouveler par le concept d’image inconsciente du corps. Michel Galasse le sent dans la définition des transitions corporelles qu’il nous donne.

C’est dans la mise à l’épreuve de la rencontre en vérité, que l’analysant - on peut user d’autres termes -, en vient à prendre confiance et à se risquer à déployer ses compulsions, ses fantasmes, les traits et les aléas de sa sexualité (pas seulement infantile), les traumas subis… Il importe de ne pas confondre la venue à son enfance – du côté du thérapeute comme de celui du patient – se faisant par la rencontre de l’enfant que je fus, avec l’infantile, fait de l’imaginaire des enfantillages des « verts paradis enfantins » (Baudelaire). Je distingue l’enfance et l’infantile. On ne peut qu’être d’accord avec l’auteur sur le fait que le contact fait travailler la participation rythmique. L’écoute multisensorielle, celle du respir et du souffle, fait vibrer et résonner du pulsatile. Dans la médecine chinoise, le praticien vous prend les pouls. Quand j’écoute un psychanalyste ou un psychothérapeute me parler de son travail, je suis très attentionné au placement de son souffle et à l’ouverture de sa base réceptive et de présence. On écoute avec le souffle. On écoute sur le souffle.  L’expérience du contact traverse et interprète l’idée que l’on en a. Le contact est apaisant quand il est consenti, car il permet de renouer avec un rythme basal perturbé, dans l’ombilication à un autre qui, par la suite, sera perdu, comme le placenta initial.

L’auteur écrit : « J’ai de plus en plus de gestes spontanés et simplement humains qui ouvrent le dialogue, ce peut-être un regard appuyé, un ton de la voix, une main tendue. » Écrire cela est tout à fait paradoxal, mais certainement utile à rappeler. Comment pourrait-on exercer notre métier en cessant d’être simplement humain ? C’est pourtant, au nom du cadre et de la sacro-sainte neutralité, ce qui se passe. Il faut reconnaître que là, les psychanalystes sont plutôt coincés, trop souvent distants et absents. Je parlerais de la main donnée, quitte à y mettre la dimension d'une alliance symbolique et celle du pacte, dans la parole donnée, donnée dans cette main, ce main-tenant. Lalangue de contact dit combien parler est dans le contact. Combien le contact a lieu dans le milieu de la parole. Combien le contact est parole portée par lalangue sensorielle, alliage de mots et de chairs mêlés – dans la distinction des sujets. Sujet brûlant que le contact.

C’est que la transition soutenue de paroles, en ce que nous sommes des êtres humains, et non des bœufs, est le tiers construit de ce praticable. Praticable est un beau mot, pas si pratique à manier, mais d’expérience. Les descriptions que Michel Galasse donne du sien témoignent de sa manière de travailler. Ce n’est pas si fréquent. De la reconnaissance des erreurs, errements et errances, il tire enseignements et leçons. Nous nous fourvoyons tous, et même avec l’expérience, nous ne sommes jamais à l’abri d’une position fausse, d’un propos blessant ou d’une action délétère. Avec Lucie et les autres personnes dont il relate le trajet, il a le courage, et la noblesse, de nous confier ce qu’il fait.

Le contact prend acte de la répétition, mais il innove aussi. Chacun rejoint répétitivement des éléments de sa vie, mais contacte également la nouveauté qui surgit et s’accueille. Ne serait-ce que celle de n’avoir jamais été touché de la sorte, et pas seulement métaphoriquement, concrètement, de fait. Nous avons à sortir la dimension du contact du rapport à un objet pour l’établir dans la parole et le recevoir en elle, dans lalangue de contact. Sinon, ce ne serait que toucher à une chose ou à un objet partiel – opération essentielle et vitalement nécessaire – qui nous ferait toutefois oublier qu’il y va d’un contact avec l’Autre, un Autre au sein duquel le contact trouve son site et son lieu d’être et d’exercice. J’insiste sur la répétition et sur la nouveauté. Nous prenons le risque qu’un autre soit contacté et se contacte par nous, comme par personne d’autre jusqu’à ce jour. Il y va d’une mise au monde de soi-même autre dans le berceau du contact. Pour les deux protagonistes. Il y va d’un enjeu de reconnaissance où laisser l’autre s’exprimer jusqu’à ce point où le désir de reconnaissance s’épuisant, cet autre, notre frère ou sœur en humanité,  trouve son accomplissement de sujet dans la reconnaissance du désir.

Le livre de M. Galasse est une œuvre qui débute, c’est-à-dire qui cherche et tâtonne. Cette œuvre va dans le sens d’élaborer une réflexion qui témoigne de la dimension conceptuelle issue d’une praxis. Il y a dans cet ouvrage les prémices d’une métapsychologie à venir et à naître, en attente de formulations personnelles.

Il y a certainement différentes manières d’intégrer le corps dans l’analyse, de le reconnaître comme partie prenante du transfert. Y a-t-il jamais un sujet sans corps ? Respirer par la blessure. Le poète aura toujours une mesure d’avance sur nous. C’est pourquoi nous sommes à son écoute. Je partage avec l’auteur, cette intime conviction selon laquelle certaines personnes ne reprendront contact vivifiant avec leur histoire et ne pourront vivre que dans un contact, quelle que soit la nature réelle, imaginaire ou symbolique du toucher et de ses modalités. Le toucher donne corps au sujet dans le contact. Rythme.

Le livre est vivant et jette des bases, passerelles et ponts vers des horizons revisités. Découvrir la portée du contact, c’est faire œuvre d’invention, dans les transitions corporelles reconnues et assumées. Transition est passage. Passage d’un registre, d’un état à un autre. Passage par une voie. Conjugaison aussi en grammaire.

Joël Clerget

dimanche 18 septembre 2011

Colloque international à Tallinn, les 25 et 26 novembre 2011

Dans le cadre du colloque international intitulé Corps dans l'espace, espaces du corps, les 25 et 26 novembre 2011, co-organisé par les Universités de Tallinn (Estonie), de Helsinki et de Oulu (Finlande), je ferai un exposé sur Les corps flottants : des ateliers du geste aux transitions corporelles.

En voici l'argument:
Sandor Ferenczi, aux premières heures de la psychanalyse, a ouvert de nouveaux champs d’exploration impliquant les corps dans le dispositif freudien, notamment au travers de ses techniques actives et de relaxation. Ce que je propose aujourd’hui comme « praticable » néo-ferenczien en psychothérapie individuelle, ce sont des transitions corporelles qui étayent, alignent et verticalisent le corps-sujet de l’analysant, qui l’ouvrent, qui le mettent en mouvement et parfois en transe, qui le font émerger à de nouveaux modes de présence existentielle. C’est un travail de transitions frontalières et d’associations libres entre phrases verbales et phrases corporelles, en réponse aux troubles terribles des sujets borderlines.
            Dans le praticable de groupe que je nomme Ateliers du Geste, les corps sont d’abord mus et éprouvés. Ils s'osent à du contact-improvisation, à la danse primitive, ils respirent et sont immergés dans des situations insolites, voire saugrenues où ils ont à composer à partir de leur savoir-être intuitif et énactif.
            Nos corps sont des conseillers compétents et savent depuis toujours rencontrer le monde, aussi bien le monde alentour que le monde interne du sujet. La créativité y est l’outil principal. Ainsi, Marie-Cécile qui peint dans l’après-coup de chaque séance à transitions corporelles, l’intériorité de son corps en connexion avec ma main. Ainsi, les îles-corps qui viennent après des sculptures sur le vif…
            Inspirés par les arts contemporains, que ce soit la danse contemporaine ou le travail de la photo-plasticienne belgo-allemande Ulrike Bolenz, mais aussi par des pratiques traditionnelles millénaires comme le Tai chi chuan et l’acupressure, les deux « praticables » proposés peuvent être considérés comme des thérapies  bien contemporaines.

Quant à l'argument général du colloque :

CORPS DANS L’ESPACE. ESPACES DU CORPS
Interagir dans/avec le monde
Colloque international bilingue (français & anglais)
Université de Tallinn (Estonie)
en collaboration avec les Universités de Helsinki et de Oulu (Finlande)
Les 25-26 novembre 2011
C’est par l’intermédiaire du corps que l’homme existe et qu’il peut entrer en relation avec le monde, les autres et l’espace, prendre place au sein d’un groupe social, engager des processus d’identification, de représentation, de mise en valeur de soi, etc. C’est pourquoi la thématique du corps suscite depuis longtemps un intérêt de plus en plus grand dans la pensée collective et a vu proliférer, ces dernières années, des recherches menées aussi bien dans les sciences exactes (clonage, insémination artificielle, prothèse, santé et prolongement de la vie) et dans les sciences humaines et sociales (identité, altérité, interaction, consommation, éthique, etc.) que dans la mise en regard des deux autour de thèmes transversaux. De fait, l’univers du corps possède des connotations qui peuvent être très variées selon le point de vue qu’on adopte pour l’étudier (psychothérapie, anthropologie, philosophie, religion, biologie, sociologie, sémiotique, pour ne citer que quelques domaines).
Quoi qu’il en soit, le corps ne peut pas être extrapolé du contexte social et culturel où il se situe et à partir duquel il est perçu, ni de l’évolution historique de sa conceptualisation et sa perception. On sait très bien que les perceptions du corps physique sont fortement influencées par les expériences vécues à l’intérieur d’un corps social et culturel donné (par exemple, Douglas). De ce point de vue, le corps peut être pensé comme une frontière (social skin de Turner ou moi-peau de Anzieu, etc.) entre deux autres entités ‘plus amples’ qui sont l’individu (et son identité) et l’espace dans lequel il s’inscrit et avec lequel il interagit. Pour le dire avec Le Breton « toute relation de l'homme au monde implique la médiation du corps ». Sémiotiquement parlant, on peut dire qu’espace et corps (ou monde et sujet, leurs alter ego consubstantiels) ne sont pas des entités déjà données en soi, séparément l’une de l’autre : elles ne se définissent et ne sont susceptibles d’interprétation sinon à travers leur interaction, leur mise en relation. D’une part, les corps s’inscrivent dans l’espace et participent à sa construction (en le dessinant, le délinéant, le découpant, ou voulant s`effacer, etc.) ; de l’autre, le dispositif même de l’espace se manifeste en termes d’adjuvant ou d’opposant aux intentions de mouvement et d’existence des corps (par des cloisonnements, des bifurcations, des objets interposés, des trajectoires imposées, des seuils à franchir ou à éviter et, en somme, des ‘manipulations’ de toutes sortes). Compte tenu des changements significatifs dans le tissu social dus aux apports de nouvelles technologies (technologies de communication, médicales, etc.), on observe de nouvelles configurations de corps et espaces en train de naître, particulièrement intéressantes à observer et étudier. C’est pourquoi, dans ce colloque, nous nous proposons de revenir à la relation primaire qui s’établit entre le corps et l’espace et de penser le corps comme étant l’intermédiaire de deux types de spatialité possible : (i) les corps comme entités du monde ‘situées’ dans l’espace ; (ii) les ‘espaces’ intrinsèques du corps lui-même.
(i) Les corps comme entités du monde ‘situées’ dans l’espace
Du point de vue de l’inscription du corps dans l’espace, plusieurs directions de recherche peuvent être envisagées. Nous en citons quelques unes sans vouloir donner des priorités ni être exhaustifs : 1) le corps comme objet qui exerce un pouvoir sur l’espace (en le cloisonnant, le délimitant, le délinéant, lui donnant une orientation, en en extrapolant les élément retenus essentiels et nécessaires, bref en le ‘narrativisant’ et en lui donnant un sens (cf. par exemple les corps dans les mondes virtuels) ; 2) le corps vu ou décrit comme s’il était un paysage ou le paysage vu ou décrit comme s’il était un corps ; 3) le corps comme moyen de communication avec le monde (le corps artistique, le corps qui danse, le corps exposé au regard, le corps dans la publicité, etc.) ; 4) le corps comme réservoir infini de représentations, de signes et de symboles interprétables suivant les sociétés et les époques de référence ; 5) le corps comme moyen de perception de l’espace ; 6) les rapports entre l’espace visuel, l’espace perçu et l’espace vécu par le corps ; 7) la distinction et l’interaction entre une spatialité de position (le lieu, l'entendue, la localisation du corps dans l'espace) et une spatialité de situation (engagement du corps dans l'action) ; 8) le corps comme élément d’ensemble qui se donne en tant que figure de seuil (de frontière, de barrière, d’interposition) par rapport à l’espace ; etc.
(ii) les ‘espaces’ intrinsèques du corps lui-même
Le corps peut être vu et perçu lui-même comme un espace intégral ou que l’on peut découper en des parties pouvant acquérir une fonction métonymique (ayant un rapport de contiguïté étroite avec quelque entité qui caractérise son propriétaire) ou métaphorique (par exemple, l’écrivain est, avant tout, une tête qui pense, qui imagine, qui réfléchit). De ce point de vue, on peut proposer d’autres pistes de recherche, encore une fois sans les saturer : 1) le corps comme élément de perception objectivée ou subjectivée de son propre ‘Moi’ (comme, par exemple, dans le cas de la maladie, dans laquelle une partie du corps devient un véritable espace en soi, un espace ‘autre’) ; 2) le corps comme espace qu’on peut façonner à son gré par des manipulations corporelles de toutes sortes (piercings, tatouages, chirurgie esthétique, scarification, implant corporel, etc.) lesquelles peuvent avoir une fonction esthétique prédominante mais aussi donner lieu aux réinterprétations postmodernes ; 3) le corps comme siège d’une mémoire sensorielle (comme le corps torturé des camps de concentration, lequel garde inscrit à jamais la souffrance qu’autrement la mémoire risquerait de perdre) ; 4) le corps comme espace d’interface par rapport à d’autres espaces (corps malade dans un hôpital, corps réduit à ses fonctions organiques dans les camps de concentration, etc.) ; 5) le corps conçu comme forme de construction architectonique (body building, etc.) ou décrit comme matériel de construction (un « cœur de pierre », un « visage impénétrable », des « jambes molles », etc.) ; 6) le corps comme espace d’observation de l’extérieur (corps montré ou caché, exposé, déformé, etc.) et qu’on peut lire et interpréter symboliquement (corps religieux, corps mortifié, martyrisé ou, au contraire, exalté, hyper-valorisé, etc.) ; etc.
De toute évidence, les deux dimensions ne peuvent pas être complètement séparées l’une de l’autre de la même manière que le corps construit par l´expérience ne peut pas être séparé du corps physiologique. Les thématiques transversales comme présence/absence ; mobilité/statisme ; visio-spatial ; phénoménologique ; physique/virtuel ; subjectif/objectif, etc. ouvrent des pistes extrêmement riches que nous invitons à explorer.
Etant donné l’ampleur de la thématique, ce colloque est conçu comme un lieu de rencontres et de discussions interdisciplinaires. Les participants sont invités à laisser interagir librement les perspectives et les pistes de recherche proposées avec les méthodologies et les instruments qu’ils considèrent comme les plus adéquats à leurs fins. On invite ainsi les participants à utiliser des modèles d’analyse et des réflexions qui proviennent de disciplines aussi différentes que l’anthropologie du corps, la sociologie, la linguistique, la psychosomatique, la philosophie, la biologie, la sémiotique textuelle et la sémiotique de la culture (entre autres).
Organisation :
L’Institut des Langues et Cultures Germaniques et Romanes de l’Université de Tallinn en collaboration avec les Universités de Helsinki et de Oulu.
Comité d’organisation :
Sabine Kraenker (Université de Helsinki)
Aleksandra Ljalikova (Université de Tallinn)
Xavier Martin (Université de Oulu)
Licia Taverna (Université de Tallinn)
Comité scientifique:
Bernard Andrieu (Université Henri Poincaré - Nancy Université)
David Le Breton (Université de Strasbourg)
Fred Dervin (Universités de Turku, de Eastern Finlande et de Helsinki)
Stefano Montes (Universités de Tallinn et de Palerme)
Ulla Tuomarla (Université de Helsinki)
Informations pratiques :
Date limite de soumission des propositions : 10 septembre 2011 Clos!
Résumé de la proposition : 250-300 mots.
Langues de travail : français et anglais.
Durée des communications : 30 minutes (20 minutes + 10 minutes pour les questions)
Publication : un recueil thématique est prévu en 2012 suite à une évaluation anonyme (peer-review) effectuée par un comité scientifique international.
Frais d’inscription :
01.07-01.10 – early bird registration 50 eur ; étudiants, doctorants 30 eur
Après le 01.10- inscription 70 eur ; étudiants, doctorants 50 eur
Paiement:
Destinataire: Tallinna Ülikool
Adresse: Narva mnt. 25, 10120, Tallinn, Estonia
Références : S09001 Colloque Corps/espaces + NOM
Banque: AS SEB Pank
Adresse: Tornimäe 2, 15010 Tallinn, Estonia
Compte: 10002006943007
VAT: EE100251335
IBAN: EE071010002006943007
SWIFT: EEUHEE2x
L’inscription et la soumission des propositions de communication se fait en ligne : www.tlu.ee/colloque2011
Contact :
Aleksandra Ljalikova (alexa@tlu.ee) et Licia Taverna (licia.taverna@tiscalinet.it)
Questions pratiques (inscriptions, attestations, informations pratiques, etc.) :
Heidi Võsu-Tatter (langues@tlu.ee)
Site de référence :

samedi 20 août 2011

Les corps analystes

La sortie de mon second ouvrage Les corps analystes. Mouvement et travail corporel en psychanalyse est prévue pour février 2012, chez DANGLES. Plus qu'une suite des Transitions corporelles dans l'analyse, paru chez Fabert en 2008, c'est du véritable déploiement du praticable qu'il s'agit, et ce aussi bien dans le colloque singulier que dans le dispositif de groupe. Les Ateliers du Geste y sont présentés comme une thérapie contemporaine par le groupe. Les ateliers sont largement inspirés par les transitions corporelles, elle-mêmes en résonnance particulière avec les arts contemporains. Pour exemple dans le livre, la manière dont l'oeuvre de la photoplasticienne belgo-allemande Ulrike Bolenz a inspiré des transitions frontalières pour travailler avec des patients borderlines. Dans l'Atelier du Geste, les corps en participation renforce le champ énergétique et cela rend possibles autant de rencontres insolites avec l'étranger en soi.
L'une des idées maîtresses du livre tourne autour de la transe, jusqu'à penser toute analyse à transitions corporelles comme une forme de trans(e)analyse. De tout temps, les humains ont recours aux transes. Actuellement, beaucoup de transes modernes sont sauvages et dangereuses, échappant à tout contrôle. Comme le souligne fort justement Catherine Clément, l'auteur du très beau livre L'appel de la transe, une transe ne s'ouvre sur la métamorphose de l'existence et n'est thérapeutique que si elle est soigneusement surveillée, régulée, ritualisée. Chevaucher les frontières et forcer les passages ne se fait qu'avec discipline. L'auteur évoque d'ailleurs une discipline de la frayeur qui rend possible le frayage de nouvelles voies de subjectivation. Dans Les corps analystes, nous proposons des éclipses éphémères et transitionnelles comme autant de transgressions créatives qui ouvrent plus largement la conscience corporelle. Qu'elles prennent appui sur le contact, le mouvement, la posture, la respiration ou les quatre à la fois, elles im-pliquent les corps analystes et leur permettent de congresser, régresser, transgresser et progresser ensemble en toute sécurité.
Comme cela fut dit au Congrès szondien de Nice, est-ce parce que l'homme n'a pas de centre qu'il est sans cesse poussé du côté du contact, du sexuel ou du paroxysmal, cherchant à s'éclipser puis à s'envelopper de tous côtés ? Marc Ledoux évoquait le concept de biose chez Von Weiszacker, cette force de l'étranger en soi, et proposait de retourner la formule freudienne pour qu'elle devienne Là où j'étais, ça doit advenir. C'est bien ce que la trans(e)analyse propose: faire confiance à l'improvisation des corps-sujets.


Dans l'effervescence de l'instant transi et tremblé, quelque chose se réanime et se dompte, se troue et s'initie, de nouveaux sentiers sont ouverts à l'existence du sujet. L'épreuve corporelle est celle de la secousse ou de l'étourdissement puis de l'apaisement: corps et monde s'y rencontrent, mêlent leurs textures.

mardi 26 juillet 2011

Les opérateurs de trans-subjectivation dans les Ateliers du Geste

Aujourd’hui, à Nice, je vous présente un praticable de groupe inspiré des transitions corporelles, les Ateliers du Geste. Il suffit d’un geste, écrit François Roustang. Et ce geste, créatif, inventif, prend sa source dans la sensation de vivre, dans l’étonnante plasticité du corps, et surtout dans l’entre-corps. Un montage vidéo vous a introduit dans le vif du sujet et vous a montré la danse des geishas, les derviches tourneurs, des dos-à-dos eutoniques, l’envol des aigles noirs, les bas-reliefs qui prennent vie, les épreuves de force qui illustrent l’opération de fighting-through, le balancement des arbres au vent, un travail de torsion-détorsion, la danse primitive, l’extraction d’un passage étroit, l’exploration au sol sur des feuilles et des branches d’automne, du contact-improvisation comme en danse contemporaine…
L’atelier du geste est donc bien une thérapie de groupe contemporaine et originale : six analysantes, ma co-animatrice et moi, un espace suffisamment grand, des mouvements, beaucoup de mouvements, des postures, des contacts, des sensations partagées… et quelques paroles quand même, presque par surcroit, - comme pour dire à partir de ses sensations, comme pour valider les expériences. Nous faisons ainsi des propositions de décalage où les étrangetés se mettent à vibrer, où les formes, les matières et les tensions intriquées s’agencent de nouvelle manière, où il faut oser aller, à fleur de déséquilibre, pour que quelque chose se trace, à travers ce qui échappe (Nicole Mossoux et Patrick Bonté, danseurs et chorégraphes).

L’atelier du geste propose donc des rencontres improbables, insolites, saugrenues, incongrues, des transitions frontalières pour des corps flottants. Inspiré par différents spectacles de danse contemporaine, par le Tai chi chuan  et la danse primitive, l’Atelier du geste propose des éprouvances et mouvances variées qui pour les participantes fonctionnent comme des expériences originaires faites de contacts, de danses et de transes.

Mais à quoi au juste l’Atelier convoque ainsi chacune ?

- à éprouver différents rythmes sensitifs de venues en présence et d’effacement, à un usage inédit des corps,
- à une perturbation générale des matières, énergies et codes, qui laisse une place à l’absurde,
- à ouvrir un espace de vulnérabilité où l’on accepte d’être incertain au sujet de soi-même,
- à l’actualité du corps dans laquelle ne manque pas de se loger l’archaïque, à ce qui est à la fois de l’ordre de la médiation mais surtout de l’immédiation…

Quand je demande aux participantes ce que leur apporte l’Atelier du Geste ? Elles répondent : « un bien-être incroyable, des prises de conscience, de l’apaisement, de la légèreté, oser, du dépassement, de l’amusement, de l’assurance, de l’énergie, un moment pour se poser, une ouverture à des parties de moi que je connais moins, un rapport à l’inconnu, un petit laboratoire, trouver sa place, de la réflexion, de la création… »
Ce qui s’y trame « en douce », est de l’ordre d’une suspension, d’une transgression, d’une naissance, d’une esquisse, d’une émergence, le tout dans une tension à la fois ouvrante et contenante. C’est une thérapie de groupe puissamment expérientielle.
Le projet de l’Atelier du Geste, sa proposition, c’est d’habiter au sens existentiel, se sentir exister, se déployer en faisant confiance à ce qui émerge de l’intérieur. D’abord trouver son cocon, le site où se loger qui potentialisera un déploiement et de là, prendre corps, surgir comme présence, entrer en contact, en résonnance, en interlocution. Comme l’illustrent bien les œuvres de la photo-plasticienne germano-belge Ulrike Bolenz, à voir sur www.ulrikebolenz.de


 

 
A l’intérieur d’un espace balisé, nous créons des moments plus incertains d’expérience, de circulation et d’échange. Nous assistons alors à des esquisses du Je, pluriel et en mouvement avec un monde autour. Mettre les corps en mouvement et maintenir les autres corps en cercle autour de soi. L’élan peut ensuite devenir plus frontal : le sujet progresse en affrontant, il trouve son flux postural d’affirmation (comme dans le groupe bleu). Nous provoquons des secousses d’être en décadrant les identités, en instaurant cette respiration inimaginable dont parle Daniel Dobbels, un autre chorégraphe, si nécessaire pour cheminer intérieurement.

Les prises de corps conjoignent dès lors des histoires singulières et des sensations de voluminosité : la puissance d’être émerge de l’interconnexion de ces fragiles conjonctions. Y opère toujours déjà, au travers du déploiement pulsionnel, une délimitation où nous soutenons les excitations porteuses de vie et apaisons les excitations toxiques.
Les sensations-rencontres font émerger une nouvelle sensorialité, une nouvelle flexibilité, frayent des passages à l’élan vital qui traverse alors l’angoisse et les peurs. D’être submergé par un flot continu de sensations en mouvement, d’être pris dans une circulation sensorielle nouvelle, surgit une présence qui est un geste vers. Submersion, surgissements, liaisons, transformations, compositions. Comme l’écrit Sylvie Le Poulichet, lier des éléments apparemment hétérogènes et anachroniques, qui se transforment mutuellement en se rencontrant, donne lieu à des compositions nouvelles d’images, d’affects et de signifiants, compositions nouvelles qui  déstabilisent des plans figés d’identification narcissique.

Je vais décomposer les quatre temps à partir des registres pulsionnels szondiens : c’est un peu artificiel mais cela aide à comprendre.

1. Le contact :oser (contacter-sentir-se mouvoir)
2. Le sexuel : vouloir (transiter-jouer) dans un partenariat sexué
3. Le paroxysmal : devoir (avoir à exister) dans un partenariat affecté
4. Ichspaltung (Sch) : pouvoir (créer) à partir de la faille du Je

 


 
1/. Le temps premier du contact, celui de l’oser, où nous parlerons d’émergence, d’improvisation, d’exploration, d’oser sentir et se mouvoir, grâce à une partition qui programme des lignes d’action auxquelles chacune contribue et des expériences d’égarement sensoriel, comme un voyage au pays de l’informe.
La partition relance la participation des sujets au mouvement de la vie, la manière dont ils y prennent part.
-  les marches où s’expérimentent toutes les sensations (le lourd et le léger, le lent et le rapide, les quatre éléments, les saisons, les frôlements, croisements, trébuchements…),
- le contact-improvisation, soit se mouvoir à partir d’un point de contact entre les corps. Le toucher permet de trouver avec l’autre des zones d’ancrage, de glissement, de rotation… l’équilibre instable se vit dans un consentement mutuel ou dans une concession réciproque. Les partenaires se synchronisent sur des modalités posturales, sur des rythmes respiratoires, des consistances toniques, dans une socialité sensitive et un transfert contactif,
-  le mouvement taiji, un mouvement dénué d’effort musculaire qui aligne le moi tout entier sur les forces de l’univers,
-  la danse primitive où l’on secoue tout le corps, histoire de remettre toutes ses particules en mouvement, où l’on revisite les ressorts rythmiques et les empreintes primitives,
- la Transe Terpsichore, qui fait tourner les têtes, ravive des bribes d’histoire personnelle et donne la sensation du voyage.

Pour rendre les choses plus concrètes, voici un exemple de partition corps-et-graphique :

- Danse en ligne avec une flûte de champagne au trois-quarts remplie d’eau : d’abord sur place, en se penchant et en saluant toutes les autres,  et en osant de plus en plus à fleur de déséquilibre et dans la torsion, sur une musique de Kate Bush,

- Rencontre insolite et jouée-dansée avec un objet (tabouret japonais…) en ré-explorant le sol, l’espace, le mur, l’objet, le corps-propre, sur la musique du film la vita e bela,

- Etre tenue par les deux bras et explorer tous les mouvements corporels possibles, les yeux fermés, sur une musique de Nightwish,

-  Au sol, trois tapis, trois cocons pour deux, se lover et respirer, puis se mouvoir comme dans le ventre d’une mère, sur la musique du Boléro de Ravel,

-  Expression primitive, d’abord en cercle, les yeux fermés puis ouverts, ensuite avec quelqu’un au milieu, sur la musique de Nneka, ou sur une musique des aborigènes d’Australie,

-  Etre un bas-relief qui prend vie, sur la musique de I Muvrini…

Donc, une partition qui permet à chacune : de prendre part et d’éprouver, d’explorer le corps,de relâcher (Ferenczi insistait beaucoup sur la relaxation du sujet, dans « Principes de relaxation et néocatharsis »), de laisser faire ce qui vient, de laisser passer ce qui doit se passer,d’émerger comme sujet sentant et se mouvant de manière vivante.

Au commencement, le sujet évolue les yeux fermés pour mieux explorer la matière sensitive et gestuelle, pour entrer en dansation, conjonction de danse et de sensation : tout mouvement doit s’y accomplir comme si c’était la première fois, pour retrouver l’énergie première et l’audace du mouvement vital.

2/. Second temps spéculaire-séductif, celui du vouloirles corps en chantier, sont traversés par des tensions contradictoires. Ici, postures et mouvements ne sont plus transmissibles d’un corps à l’autre, chacune porte son bodymade. Travail des postures de soi et des impostures à soi. Images et sensations s’entrelacent, les sujets commencent à voir et bouger depuis leur conscience intérieure, mais aussi de se représenter dans l’autre. L’image inconsciente du corps, au sens de Dolto, c’est-à-dire la mémoire des événements relationnels du corps-sujet, est perceptible dans ces îles-corps. Le sujet s’étend sur du papier de tapisserie, sachant que quelqu’un d’autre fera son contour et que ce contour représentera une île et un corps, son île-corps. Ensuite le sujet, muni de trois pastels, habille et habite son île-corps. Cela donne ceci :



Les corps deviennent spécifiques, démonstratifs, magnétiques, ils s’attirent et se repoussent. Le travail en partenariats variés permet d’échanger tonus et énergies, de relâcher les tissus, de sentir les volumes, de réguler les intensités. Viennent inévitablement des avancées et des reculs : j’avance, je m’avance vers l’autre, je le fais reculer, il me fait reculer, je le fais venir à moi, je vais à lui… Place aux gestes d’esquive et d’invite, à la prise, à l’emprise, à la déprise et la méprise. Qu’est-ce que l’autre (Autre) (me) veut ? Séduction dans les duos, confrontations dans les duels.
Dans cette exploration, le traitement à réserver au visage du sujet est essentiel car on sait qu’un corps saisi par un envisagement, accède à sa voluminosité (Merleau-Ponty). Recevoir un visage tout en se perdant de vue, tout en acceptant de se perdre de vue. Illustration de ce travail avec les dessins et sculptures de visages, avec le travail des masques.

3/. Troisième temps trans(e)gressif et paroxysmal, celui de l’avoir à (exister). Les corps deviennent critiques et insurgés, hétérogènes et indisciplinés, transgressifs, oedipiens, transis, ils opèrent une subversion des codes et sortent de leurs habitudes.
La place est laissée aux transes et aux fugues, pour libérer les freins, s’approcher des forces du chaos, abréagir pulsions et désirs sous une forme acceptable, pour s’échapper à soi-même. Les corps-sujets ne cessent de nous surprendre dans leurs entrées et leurs sorties, comme au théâtre, car ils ouvrent des portes, se révoltent, claquent d’autres portes : ils entrent et sortent. Place aux scènes primitives, aux psycho(somato)drames et aux formes du playing-through. La surprise est l’événement principal même si elle ouvre une crise. Nancy Midol dans son écologie des transes, écrit qu’il s’agit dans la transe de réordonner son existence en s’expérimentant soi-même dans des situations étranges, en dilatant le Soi jusqu’aux frontières mondes, là où s’interconnectent le sensitif et le symbolique, à condition que mon intériorité la plus enfouie puisse rencontrer une extériorité qui autorise l’imprévu.
C’est ici en somme que le sujet se dit : « je dois y aller, je me dois d’exister ». Et la peur toujours un peu au rendez-vous dit que quelqu’un arrive, que la rencontre est possible, qu’une relation s’annonce, imprévisible et risquée, mais toujours intéressante.
Les corps ainsi subvertis ravivent du passé les potentialités empêchées. Ils y vont frontalement, entrent en friction, se percutent, s’affrontent, expérimentent la fronde. Travail de fighting-through où le sujet doit garder le corps critique. Souvent d’ailleurs, nous travaillons en trios, configuration à la fois oedipienne et triangulée, qui sort le sujet d’une configuration de couple et donc du duo comme du duel.

4/. Quatrième temps (trans)-personnel, celui du pouvoir. Nous sommes dans un battement, entre l’expérience du présent (ce que nous sommes) et la dynamique d’un devenir. Les corps se libèrent entre dialogues physiques et échanges verbaux, en puisant dans leur futur antérieur, en ouvrant sur de nouveaux possibles, car comme le dit bien Patricia Kuypers, encore une danseuse-chorégraphe, il est beaucoup plus difficile de se défaire de la façon dont le corps a été formé, donc de la mémoire corporelle, que de le former à nouveau et autrement.
Les analysantes-danseuses, comme je les appelle maintenant, s’ouvrent à ce qui peut onduler, vibrer, ondoyer, se rencontrer de manière vivante et se font chacune force de propositions pour les autres. Place donc aux corps interlocuteurs, que Christophe Dejours appellerait les corps érotiques relationnels, qui passent à l’acte de se parler dans les diverses langues accessibles (Jean Kinable). Il se passe alors ceci, que dit si bien Claire Hayes : cela ne vient pas de moi, cela a surgi de toutes choses, cela soulève la masse qui nous empêche d’habitude de nous associer à tout ce que nous percevons et imaginons.
Mais ce corps-là, interlocuteur, libre et créatif, reste cependant toujours le lieu de vulnérabilités multiples, d’un sujet qui a en son pouvoir de rester souple et nomade, constructivement schizophrène, au travers de ses présences éparses, de ce désordre multisensoriel et multidirectionnel. Le sujet se constitue à partir de corps, d’énergie, de sensation, de mouvement, de pensée, d’image et de mots échangés. Chaque sujet transforme alors progressivement sa forme d’existence à partir de l’improvisation et de l’invention devenues alors les véritables fabriques du quotidien.


 

 



Freud nous a proposé un processus de working-through, qui peut maintenant se décliner selon les différents registres et leurs modalités électives. Feeling and moving-through (C), playing, looking, posturing and acting-through (S), playing, crising, surprising-through (P) et enfin working and creating-through (Sch).

Vous l’aurez compris, les corps-sujets visés sont composés de strates, certaines anesthésiées, d’autres survoltées, d’autres encore en régime de confiance. L’élargissement de conscience ne peut passer que dans et par les corps, dans une tension main-tenue entre du pré-personnel et du trans-personnel.

Alors les opérateurs de la trans-subjectivation dans les Ateliers du Geste se déclinent de manière plurielle et hétéroclite : éprouvance co-esthésique et exploration, sépartition (séparation et partition), décalage et effrayage (frayeur, effroi et frayage), trans(e)gression, contact-improvisation, respiration, accordanse, co-création et co-tuition, envisagement, et finalement éphémérité (le pouvoir de l’éphémère, de ce qui est verganglich, le sens du précaire, du fugace, du vulnérable, du dissimilaire dit Gilles Deleuze). L’éphémère des propositions de l’atelier met chacune en présence de quelque chose qui disparaît aussitôt qu’il s’est produit : il n’en reste que les souvenirs d’expériences intimes, d’actes dramatiques, comiques et poétiques.
Cela rappelle ce texte majeur de Jacques Schotte Notice pour introduire le problème structural de la Schicksalsanalyse, où les beaux-arts sont les dimensions essentielles des formes d’existence humaine. Pour entrer dans le vif du sujet, au cœur de l’instant et y travailler la matière pathique, en groupe, rien de plus efficace que de pratiquer ensemble les arts, que chacune ressente ce qu’elle peut faire, fasse ce qu’elle est et devienne ce qu’elle a à devenir, fasse ce qui lui semble juste et reste ouverte. Les beaux-arts, avec l’intérêt contemporain pour les interstices, pour les qualités d’éphémère et les frontières incertaines : pour laisser place à l’intensification de l’être, à la rencontre avec les corps inconnus. Quelque chose passe, se passe, transpasse dirait Maldiney, des intensités traversent les êtres dans une effusion bien réelle, comme les femmes riantes d’Ulrike Bolenz, transportées par la puissance de leurs propres rires.



Les corps pliés et dépliés, étirés, portés, intriqués, envisagés, regardés, transpirés, inspirés, transis et surpris, mus et émus, deviennent créatifs parce qu’ils se laissent saisir et dé-saisir profondément, parce qu’ils se lient et se délient profondément, parce qu’ils vont chercher leur existence dans cette sensorialité première partagée. Matière et projet de soi en connexion avec la matière et le projet du monde.
Le désir de l’analyste est-il encore d’épisser, comme le disait Lacan, soit assembler deux cordages en entrelaçant les torons ? Je dirais que ce sont des sensibilités multiples qu’il faut entrelacer, dont il faut trouver la résonnance. Désir d’épisser mais aussi désir de mettre en scène (comme au cinéma pour que les sujets puissent eux-mêmes oser se remettre en scène selon de nouveaux plans), désir de chorégraphier (conjuguant le chœur et l’écriture), de composer toujours en musique.

jeudi 26 mai 2011

Conférence du 18 juillet 2011 au Congrès international Szondi à Nice

Les opérateurs de trans-subjectivation, à partir des ateliers du geste
Il suffit d’un geste, écrit François Roustang. Et ce geste, créatif, inventif, prend sa source dans la sensation de vivre et l’étonnante plasticité du corps tout entier.
L’atelier du geste est une thérapie de groupe originale : six personnes (des femmes), une co-animatrice et moi, un espace suffisamment grand, des mouvements, beaucoup de mouvements, des postures et des sensations partagées,…et quelques paroles quand même.
Inspiré du contact-improvisation en danse contemporaine, des transitions corporelles conçues à la manière des objets flottants en systémique et des techniques traditionnelles du corps, l’Atelier du Geste travaille avec et dans la verganglichkeit, l’éphémérité ou l’éphémère destinée, à laquelle Freud fait allusion en 1915. Rencontrant le poète, il laisse entendre que la fragilité, la beauté et l’éphémère sont rares et d’autant plus précieux, de ce fait.
Les analysantes vont y faire des ur-erfahrungen, des expériences originaires. Au fil des co-esthésies, des éprouvances, des co-présentations, des contactances, des dansations et des transes, dans un cadre pluri-postural et une esthétique de l’écart, avec des transgressions créatives et un mouvement général de surprise, les différentes strates de l’humain sont revisitées. Les trajets sont variés et le processus est à la fois d’exploration, d’improvisation et de composition transsubjectives.
Dès lors, il nous faut de nouveaux concepts pour rendre compte de l’effet de métissage : le working-through se décline en feeling and moving-through, en acting-through, en creating-through,… Szondi permet cette théorisation des destinations pulsionnelles et humaines, les néologismes lacaniens (sépartition, corpsification,…) montrent quelque pertinence à témoigner d’une subversion de l’analyse soudain retrouvée, mais c’est surtout, avec Ferenczi, que j’ai osé.
Le désir de l’analyste est-il encore alors d’épisser, d’assembler les cordages en entrelaçant les torons ?



mardi 1 mars 2011

Parution prochaine "Dans le vif du sujet"

Mon second ouvrage devrait paraitre en 2011 mais chez quel éditeur ?
Plus clinique, il ne peut que plaire aux ...cliniciens !

En couverture, une oeuvre de Ulrike Bolenz intitulée "Cocon" (voir photo au bas de l'article). Les oeuvres de cette artiste contemporaine m'amènent à repenser les transitions corporelles dans l'analyse et à en créer de nouvelles "sur mesure" et dans l'intersubjectivité.

Extrait du quatrième de couverture:

"Peut-être avons-nous aujourd'hui à oser le contact et la transe pour infuser de la présence vivante, peut-être est-ce même l'une des voies d'accès privilégiée pour vraiment contacter l'analysant et pour que la rencontre thérapeutique ne soit pas une fois de plus évitée. La surprise revient alors au creux même du processus analytique. Si l'analyste ose s'aventurer avec tact, ose se laisser surprendre, ose entrer le premier en transe, l'analysant s'osera en personne à partir de ce qui pourtant le terrifie, le terrasse ou le terrorise."

Avec une préface de Jean Kinable

Extraits
"Le lecteur s'en aperçoit très vite : c'est à une véritable invitation au voyage qu'il se trouve convié...  L'aventure dans laquelle nous embarque l'auteur, partagé entre audace et prudence, va à la découverte de tout ce que recèle d'encore inélaborable et mal conçu ce champ de phénomènes (le contact)....La poursuite résolue de ce beau projet, sans cesse en quête de voies nouvelles, s'employant à relancer les forces de l'élan vital, à en vivifier les énergies, en instance de recréation-récréation, conduit l'auteur sur les chemins, d'une part, de travaux originaux apportant des développements passionnants à la question psychosomatique, d'autre part, d'une confrontation avec des objections, voire la condamnation quant à l'usage de médiations corporelles qui impliquent un engagement corporel du thérapeute : une telle "transgression" de l'interdit du toucher compromettrait-elle les règles fondamentales et fondatrices de la psychanalyse ?...Dans les débats qui agitent la psychanalyse là où elle se confronte à des formes de souffrance qui résistent, ou se dérobent à ses modes habituels de traitement, Michel Galasse est en mesure de nous faire entendre une voix originale et de s'employer à ouvrir et tracer des voies prometteuses pour des prises en charge cliniques sensiblement novatrices."

Et une postface de Geneviève Liénard

Extrait:
"Le travail de Michel Galasse va bien dans le sens de l'intégration et de la créativité propre à la somatanalyse. Il prend le risque de s'engager dans la rencontre, propose du neuf, apporte dans le cheminement somatanalytique de chaque patient une interprétation corporelle qu'il crée de toute pièce en réponse au vécu de l'instant du patient..."

Table des matières

Prélude de Jean Kinable, au vif des polyphonies âme-corps
Notice biographique d'un mouvement de surprise : oser les sensations d'idées
1/. Une sculpture sur le vif. Marie-Cécile, de l'art des sens aux sens de l'art
2/. Les co(rps)-analysants. Le travail de la membrane avec Emilie
3/. Avoir à répondre comme mère rythmante dans le transfert. Dans les rythmes maternels avec Donatienne et Sofia
4/. Régressions, progressions et transgressions dans les formes d'existence. Le dégoût, la douleur et l'énergie tantrique de plus d'une femme
5/. Une thérapie de groupe contemporaine : les ateliers du geste. Quand ça trans-forme la peur d'être
6/. Fragments d'analyse d'une oeuvre contemporaine. Ulrike Bolenz, à destinations humaines
7/. Les opérateurs de la transsubjectivation dans le processus thérapeutique. Feeling, moving, acting and working-through
Dernière note : transgressions et créations analytiques
Postface de Geneviève Liénard : perspectives pour la somatanalyse